A male Red-winged Blackbird surveys his territory

Les carouges à épaulettes, un signe du printemps

« Conk-la-ree, o-ka-ree, o-ka-leeee, conk-a-ree, o-gurg-a-lee »

Que cette version onomatopéique soit la vôtre ou non, pour beaucoup d’entre nous le chant du carouge à épaulettes mâle est un important signe avant-coureur du printemps. Ces oiseaux en uniforme noir à épaulettes rouges et jaunes reviennent parfois dès le début du mois de mars vers les marais encore partiellement gelés, les haies et les champs broussailleux du Ruisseau 53. Ils y proclament leur volonté d’établir leur territoire. Et leur surveillance solitaire peut durer plusieurs semaines car les femelles, dont la livrée est très différente, arrivent généralement plus tard, souvent un mois plus tard.

Mâle s’égosillant tout en exhibant ses épaulettes

La différence de plumage chez cette espèce est le sommet du dimorphisme sexuel. Semblable à un moineau, la femelle désespère souvent les ornithologues débutants qui tentent pour la première fois de l’identifier. Même ses chants sont différents. Ainsi, elle répond parfois aux sollicitations du mâle par une série de trois à cinq brefs « tchek ». Chez les deux sexes, des situations différentes entraînent des chants différents, dont des cris de contact et des cris d’alerte, l’un d’eux indique souvent la présence d’un prédateur aérien.

(Pour entendre une partie du répertoire du carouge à épaulettes suivez ce lien : https://www.allaboutbirds.org/guide/Red-winged_Blackbird/sounds)

Carouge à épaulettes femelle au plumage discret

Une fois les femelles revenues, les choses sérieuses que sont la sélection des partenaires et la défense du territoire commencent sans tarder. Le terme monogamie ne convient guère aux relations sexuelles des carouges à épaulettes. Les mâles sont polygames et surveillent un territoire comptant plusieurs femelles, jusqu’à quinze dans certains cas. Mais comme il leur est parfois difficile de contrôler l’ensemble de leur domaine, il arrive que les femelles s’accouplent avec des mâles de territoires avoisinants. Un vrai cauchemar de généalogiste aviaire dans lequel des paternités différentes apparaissent dans chacune des deux ou trois couvées saisonnières d’une seule femelle ! Par ailleurs, chaque couvée nécessite un nouveau nid, possiblement afin d’éviter une accumulation de parasites ou des odeurs qui attireraient des prédateurs.

Ces prédateurs qui souhaitent se régaler d’œufs ou d’oisillons sont multiples, il peut s’agir de mammifères, de reptiles ou d’autres espèces aviaires. Même les poissons se régalent à l’occasion d’un oisillon tombé de son nid, car ce dernier est souvent installé au-dessus de l’eau. Les plus chanceux de ces petits parviennent à nager jusqu’à une tige de roseau et à y grimper.

Carouge à épaulettes femelle à la recherche de nourriture pour sa nichée en pleine croissance

Le plumage discret du carouge à épaulettes femelle et le motif moucheté de ses œufs favorisent leur camouflage. De plus, les membres de la colonie mettent parfois temporairement de côté leurs désaccords afin d’attaquer et harceler les intrus, et leur ôter ainsi l’envie d’aller y voir de trop près. On a même déjà vu des mâles particulièrement diligents attaquer à coups de bec des humains et, très souvent, réussir à les chasser de leur territoire.

Carouge à épaulettes mâle harcelant une grande aigrette en vol


Carouge à épaulettes mâle attaquant à coups de bec un cerf de Virginie

À la fin de la saison de reproduction les carouges à épaulettes se rassemblent en grand nombre. Ils abandonnent généralement leur habitat de nidification et fréquentent des champs de céréales et des parcs d’engraissement, au grand dam des fermiers. S’il demeure l’un des oiseaux les plus nombreux en Amérique du Nord, dans le passé des mesures de contrôle de sa population ont réduit ses effectifs. De nos jours, les tentatives d’affaiblir le Traité sur les oiseaux migrateurs pourraient devenir source d’inquiétude.

Contrairement à de nombreux autres passereaux (oiseaux percheurs) les carouges à épaulettes sont des migrateurs diurnes. Aux moments opportuns de l’année il n’est pas rare d’en voir de grandes volées en route vers le sud ou le nord. Ces volées comprennent parfois d’autres espèces apparentées, tels les quiscales bronzés, les quiscales rouilleux et les vachers à tête brune. Il y a du pour et du contre à voyager de jour. Ces oiseaux évitent ainsi les dangers d’origine humaine que sont les bâtiments pour les migrateurs nocturnes, soit les collisions et la désorientation due aux lumières artificielles. En revanche, ils sont plus vulnérables aux rapaces diurnes, surtout les accipitridés et les faucons.

Quiscale bronzé et quiscale rouilleux. Deux parents des carouges à épaulettes avec lesquels ils forment parfois des volées mixtes durant la migration


Épervier de Cooper juvénile (famille des accipitridés) chassant au-dessus d’un marais du Ruisseau 53

La diversité des habitats du Ruisseau 53 joue un rôle important dans le cycle de vie des nombreux carouges à épaulettes. Ses marais, ses haies, ses champs broussailleux et ses lisières de forêts leur offrent des possibilités de nidification et d’alimentation durant toute la saison de reproduction.

Pour finir, quelle qu’en soit votre transcription phonétique préférée, entendre le chant typique d’un premier mâle de retour ne pourra que vous mettre le sourire aux lèvres.

Autres faits intéressants concernant les carouges à épaulettes :

  1. Le nom scientifique du carouge à épaulettes, Agelaius phoeniceus, signifie grégaire et rouge. (Les Phéniciens faisaient semble-t-il commerce d’une teinture rouge extraite d’un mollusque.)
  2. Ils appartiennent à la famille des ictéridés, un groupe d’environ 90 espèces du Nouveau Monde. Peu flatteur, ce nom vient du grec ikteros qui signifie « jaunisse ». Plusieurs espèces de cette famille sont effectivement jaunes, dont plusieurs orioles.
  3. Il pourrait y avoir jusqu’à 20 sous-espèces de carouges à épaulettes.
  4. Bien que la plupart aient une durée de vie très courte, un individu bagué a vécu plus de 15 ans.
  5. Enfin, dans la comptine « Sing a Song of Six Pence », les « vingt et quatre oiseaux noirs » de la tourtière ne sont pas des proches parents du carouge à épaulettes. Ce sont en fait des merles noirs, plus proches du merle d’Amérique de la famille des turdidés (respectivement Turdus merula et Turdus migratorius). Pour continuer sur cette voie il faut préciser que le merle d’Amérique n’est, à son tour, pas un proche parent des rougegorges familiers qui appartiennent à la famille des muscicapidés de l’Ancien Monde.

Voilà qui semble être un bon point de chute !

Wayne Grubert
Bénévole du Ruisseau 53

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